NICOLAS BOULARD
La mélancolie du papier pain
Monstre littéraire et bachique, l’artiste cultive l’art de la transgression, mêlant des références du minimal art et de l’art conceptuel, décliné avec humour sur nos denrées du quotidien.

Né en Champagne dans une famille de vignerons, Nicolas Boulard a vécu à sa façon son « Retour à Reims ». Tournant momentanément le dos au monde du vin pour embrasser celui de l’art, c’est à Strasbourg qu’il ose enfin verser dans la transgression. « J’ai fait tout ce qu’il était interdit en Champagne, avec une seule question en tête : que se passe-t’il lorsque l’on fait ce qui est défendu ? »

En tout impertinence, il élabore un savant mélange des grands crus d’Alsace, afin de « créer un grand cru de grands crus, dans une quête absolue de l’absurde ». Au fil de ses explorations, il tisse des liens entre création et processus naturel de fermentation, abandonnant le vin pour aller vers le fromage et le pain. « Le procédé de transformation de ces derniers est proche de celui qui se déroule dans le cerveau de l’artiste : ce bouillonnement, cette accumulation d’éléments qui se regroupent, s’agrègent, se décomposent. »

De ces deux totems du quotidien des Français, il élabore des œuvres sur papier peint, reproduisant les marbrures délicates d’un roquefort ou le moucheté gracile d’un stilton, agrandissant à l’extrême les reliefs alvéolés d’une tranche de pain au levain, dans la perspective de « figer l’instant ».

Au croisement de la science et de l’ironie

Si l’exercice peut sembler anecdotique, voire bassement trivial, il synthétise en coulisses une infinité de niveaux de lecture, parmi lesquels un clin d’œil discret à la théorie de la relativité d’Albert Einstein – lui-même prenait l’exemple d’une miche de pain tranchée aléatoirement -, « afin de montrer que le temps pouvait être découpé de différentes manières, l’espace de différentes matières ».

Au croisement de la science et de l’ironie, l’artiste développe un sens de l’humour empreint de mélancolie, qui atteint son paroxysme dans son exposition « Monde Actuel » à la galerie 22,48m2, à partir du 3 novembre*. « Le terme « actuel » est en soi un paradoxe, puisqu’il est déjà passé au moment même où il est prononcé. « Monde Actuel » est par ailleurs l’anagramme de Claude Monet, dont les Nymphéas évoquent l’idée d’impermanence. » Des formes passagères, des matières consommables, à l’image de ces denrées que l’on oublie de regarder. En déambulant au milieu de ces tapisseries recouvertes de mie, on se prend à penser qu’après tout, peu importe que l’on en soit ému ou pas : tout véritable amateur d’art devrait parfois manger de ce pain-là.

Alicia Dorey – Le Figaro Magazine – 18 octobre 2024

* 29, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville (2248m2.com)